Retour sur l’École d’automne internationale et francophone 2023 du RÉseau international UNIversités-Sociétés


“Les communautés ne sont pas des calebasses
vides à combler mais des forêts à explorer »
Sambou Ndiaye
Enseignant-chercheur de l’UGB de Saint-Louis
Introduction
La recherche participative implique des acteurs sociaux dans la définition des objectifs, la réalisation et la diffusion des résultats de recherches scientifiques. La recherche-action collaborative, partenariale, ou communautaire – qui croise des savoirs académiques avec des savoirs d’usage, d’expérience, des savoirs sociaux et culturels – présente un immense potentiel d’intervention sur les territoires, dans l’environnement, la santé, l’action sociale ou dans la transition numérique.
Le RÉseau International UNIversités-Société (RÉIUNIS) rassemble actuellement 6 universités fondatrices : l’Université Lumière Lyon 2 (France), l’Université du Québec à Montréal (UQAM) (Canada), l’Université de Strasbourg (France), l‘Université Rennes 2 (France), l’Université de Lausanne (Suisse), l’Université Gaston Berger (Sénégal). RÉiunis œuvre à la reconnaissance et la valorisation de la diversité de ces formes de recherche participative et s’est mobilisé pour organiser une École d’automne à destination des jeunes chercheurs et chercheuses, en collaboration avec l’Institut français du Monde associatif (IFMA) et avec le soutien financier de l’Agence Universitaire de la Francophonie (AUF) et de la Fondation de France.
Cette École d’automne, programmée du 24 au 26 octobre 2023 à l’Université de Strasbourg, a été conçue comme un temps de formation, de partage d’expérience et de méthodes. À travers cet événement, l’objectif était de contribuer à l’émergence d’un réseau international d’ambassadeurs et d’ambassadrices qui portent la voix et les enjeux des recherches participatives. Cet objectif est largement atteint, et c’est le premier enseignement à retenir de cette rencontre. Une communauté francophone des recherches participatives est bel et bien née durant ces 3 jours d’émulation collective.
Le monde universitaire est stimulé et bousculé par son lien accru avec le terrain qui peut lui demander d’aller plus vite ou de pousser plus loin son engagement. S’il y a matière à se réjouir de ce rapprochement, la multiplication des expériences de recherche participative amène également des interrogations dont certaines ont traversé nos échanges durant l’École.
Cette synthèse a pour objectif de rendre compte, de manière non-exhaustive, de l’expérience vécue collectivement et des grandes lignes de réflexion qui ont jalonné ce temps de formation. Dans ce document, vous pourrez prendre connaissance du programme des 3 jours ainsi que des formats de discussion adoptés (ceux-ci avaient pour intention de favoriser un dialogue horizontal). Trois points de discussion ayant particulièrement marqués les échanges de l’École d’automne seront également déroulés:
- La pertinence sociale de la recherche (P-10)
- Les enjeux de l’intermédiation (P-14)
- L’équilibre des savoirs (P-16)
Nous ne porterons pas ici de conclusions définitives aux nombreuses questions soulevées, par ailleurs mises en dialogue dans un débat international au long cours. Plus modestement, et dans une approche ancrée dans une expérience collective et située, ce texte vise à rendre compte de la singularité et de la spécificité des échanges. Notre objectif premier est d’être, autant que possible, fidèles aux échanges et de donner à voir aux absent·es ce qu’il s’est déroulé, en particulier pour nos trois collègues sénégalais qui n’ont pas pu obtenir de visa pour être avec nous.
Déroulement de l’École d’Automne
L’École d’Automne du RÉseau international UNIversités-Sociétés a été conçu comme un temps pour :
- Repenser les hiérarchies entre savoirs et mobiliser des méthodologies d’éducation populaire, d’épistémologie participative et de croisement des savoirs ;
- Questionner ses pratiques quelle que soit sa discipline et son niveau d’expertise ;
- Développer son réseau et rencontrer de jeunes chercheuses et chercheurs issu·es de disciplines plurielles, d’origines culturelles ou géographiques riches de leurs complémentarités (Europe, Québec et Afrique de l’Ouest) ;
- Assister à des conférences d’expert·es ;
- S’accorder des temps d’échanges informels ;
Créer des supports pédagogiques qui seront partagés en open access.
Pour vous imprégner de l’ambiance de l’École d’automne, cliquez-ci !
Jour 1 – Se rencontrer et poser les bases communes
L’objectif du premier jour était de se rencontrer et de poser les bases de la discussion des 3 jours, à la fois par le partage de notions théoriques/ analytiques et par le partage de récits d’expériences et de terrains.
Le temps des ateliers Meeting point ont permis de discuter autour des situations vécues, des terrains, des questionnements et besoins des participant.es (groupes de 7 à 10 participant·es). Cet atelier a également été l’occasion d’identifier les grands axes de questionnements communs que nous avons collectivement souhaité explorer durant les deux jours qui ont suivi. Il s’agissait aussi de débattre et de faire un état des lieux de différents points de vue en présence. Les participant·es ont été réparti·es dans des groupes pensés en amont afin de favoriser la diversité culturelle, l’interdisciplinarité et la diversité d’expériences (des masterant·es aux chercheur·euses “confirmé·es”).

La table ronde « Les recherches participatives : pourquoi et comment ? » a quant à elle mêlé les discours d’acteur·ices académiques et d’acteur·ices sociaux avec l’intervention de deux expert·es : Benoît Urgelli, (Université de Lyon 2) et de Pascale Budin (association ATD quart monde).

Pour visionner la table ronde « Les recherches participatives : pourquoi et comment ? », cliquez ici
Jour 2 – Approfondir une curiosité
L’objectif du deuxième jour était d’approfondir les questionnements formulés la veille en fonction des zones d’intérêts et des curiosités de chacun. Les “Ateliers à la carte” ont proposé en ce sens une gamme de différents grands questionnements à explorer en petits groupes de travail (voir ateliers proposés ci-dessous). En fin de journée, le temps de la Bourse aux compétences a favorisé le transfert de connaissances et compétences entre participant·es (“ateliers autogérés” proposés en amont ou le jour J par les participant·es) et des temps de discussion plus “informels”, en petits groupes, avec des expert·es (“Regards croisés”).

ATELIERS À LA CARTE 1. “Le tiers-veilleur dans les recherches participatives : pourquoi et comment ?” 2. “Comment accompagner un collectif de recherche : quels garde-fous et points d’attention de départ ?” 3. “Recherche participative et enjeux épistémologiques : questionner la posture du chercheur.” 4. “Expérimenter la participation au sein d’un réseau de recherche sur la réduction des risques liés aux usages de drogues : une étude de cas.” 5. “Éthique de la recherche avec des êtres humains.” | ATELIERS AUTOGÉRÉS 1. “Décrypter son projet de recherche participative en s’appuyant sur les principes de la permaculture” 2. “Place et gestion des conflits en situation de recherche participative” 3. “L’expérience participative systémique, à partir d’une plongée dans sa propre mémoire” 4. “Développer la confiance pour favoriser la participation” 5. “Table ronde sur les recherches participatives féministes et sur les antiféministes” |
Le temps de conférence a interrogé les spécificités géographiques des recherches participatives, en explorant de manière située leurs enjeux épistémologiques, éthiques et leur pertinence sociale. Il s’agit de la seconde table ronde de l’évènement, “Contextes géographiques et spécificités des recherches participatives – Enjeux épistémologiques, éthiques et pertinence sociale”, où sont intervenus Sambou Ndiaye (Université Gaston Berger de Saint-Louis du Sénégal) et Maria Nengeh Mensah (Université du Québec à Montréal).

Pour visionner les interventions de Sambou Ndiaye et Maria Nengeh Mensah, cliquez ici et cliquez là !
Jour 3 – Et maintenant ? Capitaliser et restituer
L’objectif de ce troisième jour était de capitaliser et restituer ce qui a émergé, ce qui a été vécu, pendant les deux jours précédents. Un temps de production collective, de capitalisation, a été proposé en ce sens. La journée a également intégré un temps de discussion sur les suites, notamment en lien avec la dynamique du réseau RÉIUNIS.
La dernière Table ronde a permis d’explorer les enjeux de l’intermédiation, à partir de retours d’expérience réflexifs dans deux contextes différents. Il s’agit de la table ronde “Enjeux de l’intermédiation – Ancrages méthodologiques et questions épistémologiques” où sont intervenus Cyril Fiorini (association Sciences Citoyennes) et Hélène Chauveau (Boutique des sciences, Université Lyon 2).

Pour visionner la table ronde, cliquez ici !
Pour visionner la restitution collective, cliquez là !

Synthèse
Axe 1 – Du commun dans la diversité : pour la pertinence sociale de la recherche
Le premier point à aborder pour rendre compte de l’expérience collective de ces 3 jours à Strasbourg est sans aucun doute la richesse et la diversité des personnes et des contextes en présence. Pas moins de 3 continents (Afrique, Europe, Amérique), 11 universités et plus de 60 personnes proposant une grande variété de statuts (Vice-président·es, enseignant·es-chercheur·es, étudiant ·es au master ou doctorat, personnel·les de soutien) étaient rassemblé·es autour de leur envie commune de faire progresser la recherche participative dans nos universités. L’événement se concentrait sur les universités et les universitaires, non pas pour exclure la société civile et ses représentant·es mais pour prendre un temps de réflexion au sein de la communauté universitaire francophone.
Les contextes, tout comme les trajectoires institutionnelles, varient. L’UQAM et son Service aux collectivités sont une véritable figure de proue œuvrant à la recherche participative depuis plus de 40 ans. Lausanne a inauguré son premier dispositif sciences-société il y a plus de 20 ans et relance aujourd’hui une nouvelle Interface dotée de moyens inédits. Les universités françaises sont dans un moment particulier avec l’initiative nationale Sciences Avec et Pour la Société (SAPS) permettant de dynamiser un terreau déjà fertile, notamment dans les Boutiques des Sciences ou dispositifs d’intermédiation installées, comme à Lyon, ou naissants comme à Strasbourg ou Rennes. Dans le contexte sénégalais, l’Université Gaston Berger a mis sur pied une Alliance de recherche-actions Universités-Territoires (ARUT) afin de décloisonner l’université et développer des relations Université-Communauté, répondant à une forte demande des acteurs sociaux, très réceptifs.
Les échanges ont également montré une diversité de termes employés qui, loin de s’exclure ou de se contredire, traduisent des manières d’incarner les liens sciences-société : recherche communautaire, recherche-action communautaire, recherche-action, collaborative et participative, recherche participative, recherche partenariale ou encore sciences citoyennes comme l’a choisi l’association éponyme qui était également présente. C’est le vocable de recherche participative (RP) qui a été retenu comme ombrelle pour l’École d’automne et que nous reprendrons ici. Il s’agit d’un compromis revendiquant l’ouverture et l’accueil de la diversité de nos pratiques, la RP ne s’opposant pas aux autres appellations.
Plus largement, le choix de ces termes comporte une part de contingence contextuelle mais la note la plus commune est sans aucun doute l’importance de la pertinence sociale de la recherche et le désir de mettre la recherche au service de la transformation sociale. Ce point transcende la variété des contextes et adresse un défi commun qui très tôt se transforme en motivation commune, une posture qui traverse l’ensemble de la communauté francophone.
Par pertinence sociale de la recherche, nous entendons la capacité de la recherche à participer activement à la production de connaissances au service de l’intérêt général. Le constat est clair et unanime :
1- La recherche académique et les universités ne sont pas automatiquement connectées à l’intérêt général et aux besoins des communautés.
2- Il est nécessaire de construire une passerelle durable entre les acteurs et collectifs œuvrant à l’intérêt général et à la recherche universitaire (intermédiation).
3- Intégrer les besoins, compétences et savoirs des acteurs sociaux dans les activités de recherche est un levier de pertinence sociale pour la recherche.
Les chercheur·es qui s’engagent dans la recherche participative sont des citoyen·nes qui ont fait de la recherche leur métier. En s’appuyant sur les sciences studies, la recherche (participative ou non) devient d’abord une activité marquée par l’intersubjectivité se déroulant dans un contexte socio-politique. La recherche est faite dans ce contexte et l’influence en retour, “Science is politics by other means” (Latour Les Microbes. Guerre et paix, suivi de Irréductions, Paris, Métailié, «Pandore », 1984).
Dans cette perspective, il n’y a pas d’opposition entre science et politique mais plutôt un continuum. La RP revendique la pertinence sociale, l’engagement, la transformation sociale. Elle propose ainsi de renouveler la réflexivité et de rendre explicite les implications politiques inhérentes à toutes activités scientifiques et de recherche. Et si critiquer le concept de neutralité semble être une étape nécessaire pour penser la pertinence sociale de la recherche, cette orientation est porteuse de questions, voire de tensions : jusqu’où les chercheur·es doivent-ils·elles assumer les implications politiques des recherches co-produites avec les acteur·rices de terrain ?
Plus qu’une réponse univoque, différentes positions se sont exprimées. Elles partagent le constat de l’importance de l’accompagnement du changement social et s’accordent sur le fait que la neutralité, elle-même, n’est pas une valeur cardinale de la recherche participative. Les différents contextes représentés apportent néanmoins du relief à ce point. En particulier, les témoignages des collègues du Sénégal adressent d’abord la nécessité de l’engagement des chercheur·es académiques au service des communautés mais soulignent également le questionnement permanent sur la posture et le rôle des chercheur·es. Il n’est en effet pas rare que l’arène politique adresse la question de la neutralité des chercheur·es, et par-là même la validité de leurs productions, en particulier lorsque la recherche en cours apporte critique et/ou remise en question plus ou moins radicale de l’état actuel du monde social et de sa gestion par des politiques publiques : “êtes-vous des chercheur·es de l’université ou des syndicalistes communautaires ?”
Pour visionner la conférence de Sambou Ndiaye sur le contexte sénégalais, cliquez là!
La question de l’engagement demande une certaine prudence, qu’il s’agisse des tentatives de récupérations de part et d’autre d’un problème public et du nécessaire équilibre à trouver entre les sensibilités ou intérêts en présence. Critiquer la notion de neutralité et s’engager en tant que chercheur·es au service d’une problématique sociétale ne signifie pas devenir crédule ou perdre en rigueur méthodologique. Ce point de questionnement évoqué dans le contexte sénégalais, résonne également dans les contextes français, suisse et canadien.
« Nous travaillons avec les communautés sur diverses thématiques. (…). Le projet de recherche participative SENSE- Suivre ensemble les services publics d’eau du Nord- a été lancé sur financement de l’Union Européenne avec le GRET, la fédération des associations d’usagers de forage, l’Agence régionale de développement et l’État sénégalais (…). L’objectif était de réaliser autour de l’ARUT une recherche participative sur la réforme de l’hydraulique rurale au Sénégal (…). Du point de vue des communautés, c’était important de poser les enjeux de participation citoyenne dans la délivrance et la régulation du service public d’eau qui était en train de passer sous le modèle de la privatisation. Nous avons eu des résultats extrêmement importants qui ont contribué à amener l’État, deux années plus tard, à décider de suspendre la privatisation du service public d’eau en milieu rural sénégalais »

Sambou Ndiaye (membre RÉiunis)
Sociologue à l’Université Gaston Berger (Sénégal) et coordinateur de l’Alliance de Recherche-Action Universités-Territoires (ARUT)
“Les sciences participatives nous permettent d’explorer de nouveaux territoires, elles nous permettent de nous dire que nous n’avions pas exploré telle ou telle dimension. […]. La beauté de la science participative c’est qu’elle émane du terrain et que ce sont souvent des préoccupations qui n’avaient pas été anticipé. […]. On a souvent parlé du monde universitaire comme vivant dans une tour d’ivoire. Dans le cadre d’une recherche en science participative, on n’est pas dans la tour d’ivoire. Les citoyens participent et gagnent cet accès au savoir qui est partagé.”

Christian Agbobli (membre RÉiunis)
Vice-recteur à la recherche, à la création et à la diffusion, Université de Montréal (UQAM).
Pour visionner l’interview de Christian Agbobli, cliquez-ici !
Axe 2 – Centralité de l’intermédiation
La bienveillance et la qualité d’écoute qui ont traversé l’école ont été maintes fois rappelées pour souligner la dimension heureuse de l’expérience faite à Strasbourg. Les formats participatifs et la dimension inter-catégorielle avaient été conçus dans cette direction. Une manière de mettre en pratique une éthique relationnelle attentive à l’autre.
Ce point renvoie directement à l’un des enjeux centraux balayés durant ces 3 jours, l’intermédiation. Là encore, la tension entre la stabilisation des pratiques et le foisonnement terminologique s’illustre : facilitation, médiation, processus participatif, méthodologie collaborative, tiers-veillance, ces différents termes, dont les différences sont là aussi d‘abord contextuelles, renvoient tous à une valeur commune : d’abord la nécessité puis la manière de prendre soin de la relation collaborative.
Sur ce point, le consensus est fort : la bonne volonté ne suffit pas. Des méthodes existent mais ne circulent pas encore suffisamment, si bien qu’il est possible d’interroger la justesse de la notion de corpus méthodologique. Le souhait de rassembler ces méthodes et outils et d’organiser leur meilleure circulation est clairement formulé. Il s’agit d’un besoin qui traverse les différents contextes de pratiques présents à Strasbourg. Les ressources sont pour autant nombreuses, pour certaines issues de l’éducation populaire, d’autres du « community organizing », de l’expérience des Boutiques des Sciences ou de la percée récente de la figure du ou de la tiers-veilleur·euse et de son application dans le contexte de l’Agence Nationale pour la Recherche en France. Reste que la mutualisation systématique, non seulement des outils méthodologiques mais également des expériences, est encore à organiser. Pour le dire autrement, bien qu’épars, il y a un corpus de méthodes à disposition et ce qui semble manquer le plus est à chercher du côté du retour d’expérience, d’une mutualisation des usages des méthodes et de la création d’espaces d’échanges de pratiques et de débats d’idées.
Aussi, une acception pure de l’intermédiation pourrait défendre qu’il est préférable de ne pas être à la fois chercheur·e et en charge de l’intermédiation. L’intermédiation deviendrait un métier, avec un référentiel, des formations, des certifications et plus seulement, même si c’est déjà beaucoup, une éthique relationnelle. Sur ce point, les voix divergent sans pour autant montrer de désaccord, notamment sous l’effet des contextes de pratiques de RP qui ne peuvent pas toujours garantir de fonction dédiée à l’intermédiation. Bien souvent, les chercheur·es (ou plus rarement les acteur·rices impliqué·es) assument également l’intermédiation en pratique. Même s’il ne s’agit pas d’une règle, les statuts les plus précaires au sein des universités peuvent être amenés à être les plus polyvalents et cela peut être source de plaisir et de créativité comme d’accentuation de la précarité et vecteur d’isolement.
Professionnaliser l’intermédiation peut proposer ici un contrepoint intéressant dont le potentiel est renforcé par le souhait, fortement exprimé par les participant·es, de se former à l’intermédiation et de valoriser les fonctions accrochées. Valoriser justement l’intermédiation propose une piste à exploiter pour rompre avec une mise en invisibilité de cette dimension aussi essentielle que difficile à protéger.
« Au Service aux collectivités, c’est une approche de coconstruction des connaissances où chacun.e amène son expertise. […] J’ai un rôle d’intermédiation, de facilitation du processus, d’être là pour veiller à ce qu’on respecte les objectifs et les intérêts de chacun. On s’assure qu’il y ait une appropriation des connaissances aussi. […] Il y a un côté qui touche beaucoup aux relations interpersonnelles entre les gens. Il faut qu’au-delà des intérêts et expertises, il y est une relation de confiance entre les partenaires. »

Mélanie Pelletier (membre RÉiunis)
Agente de développement du Service aux collectivités, Université du Québec à Montréal (UQAM)
Pour visionner l’interview de Mélanie Pelletier, cliquez-ici !
Axe 3 – L’équilibre des savoirs
Par-delà du principe, volontiers réaffirmé, d’égale légitimité des savoirs, les questionnements sont en fait nombreux. Ils débordent notamment sur la question de l’intensité de la coopération entre chercheur·es académiques et collectifs de la société civile. Si un consensus semble se dégager sur l’importance de privilégier la coopération la plus intégrée et dont la variante maximale implique une participation à l’entier du processus de recherche (initiative, définition du problème, des méthodes, collecte, analyse et interprétation, écriture et formats de restitution et/ou d’action), un questionnement transversal interroge la mise en œuvre de tels principes.
Un élément de réponse est suggéré par une attention particulière aux modes de gouvernance « anti-oppressive » des projets de RP pour lutter contre la reproduction, au sein même du projet, d’inégalités, d’effets de domination et d’invisibilité qui sont bien souvent au cœur des objectifs de la RP. En s’arrêtant sur une pratique illustrant une coopération forte, à savoir l’interprétation collective des matériaux, les positions sont contrastées. Cette pratique peut s’accompagner d’un sentiment de perte de spécificité qui interroge l’identité professionnelle des chercheur·es. La même pratique peut être vécue comme une mise à distance de routines d’interprétation, en appui sur des modes d’analyses de partenaires de terrain, faisant émerger plus rapidement la pertinence, elle-même nourrie par un sentiment d’évidence et de satisfaction à l’interprétation. L’objectif d’empouvoirment/encapacitation (empowerment) est partiellement atteint lorsqu’il est permis aux communautés de retrouver le pouvoir sur la description et l’interprétation de leurs enjeux. Remise en question de l’identité professionnelle des chercheur·es et réalisation des objectifs d’encapacitation ne sont pour autant pas contradictoires, ils peuvent co-exister et inspirer des sentiments et vécus contrastés avec lesquels il faut composer. Une autre proposition interroge encore plus radicalement le cadre de la RP et fait apparaître un préalable porteur d’une asymétrie épistémique fondamentale. La RP est d’abord une activité de recherche et même si le problème de recherche est co-construit avec les partenaires de terrain, la manière de construire un problème de recherche répond à des critères universitaires. Même contenus, ces critères structurent néanmoins les possibilités de poser un problème pour l’inscrire dans l’activité universitaire. Ainsi, co-construire un problème de recherche implique de faire accepter une manière académique de poser le problème en question. Ce préalable encourage la réflexivité et demande d’expliciter les limites de validité de la réponse qu’une université est en mesure d’apporter à une demande sociale. Le cheminement collectif doit intégrer cette limite et rester ouvert pour que les partenaires soient d’abord conscients de cette implication mais également que la décision de recourir à d’autres approches est non seulement possible mais peut-être plus pertinente. L’université, quand bien même ouverte et attentive aux demandes sociales, n’a pas le monopole des réponses possibles. Elle propose des formes de réponses que l’on rassemble ici sous l’appellation recherche participative. Il en existe d’autres.
“Mon projet porte sur la création d’une boutique des sciences qui mettrait en relation plusieurs acteurs pour transformer la demande sociale en question de recherche. […] Ma motivation s’inscrit dans une forme de défense de ce que j’appelle l’écologie des savoirs. Il s’agit de reconnaître l’existence d’une diversité d’épistémologies. Nous avons l’épistémologie qui forme la scientificité des disciplines dans nos universités mais aussi une diversité d’épistémologies locales qui légitiment les savoirs locaux et patrimoniaux”

Irie Gethème (participant à l’école d’automne RÉiunis)
Docteur en sociologie et enseignant chercheur à l’Université de San Pedro (Côte d’Ivoire)
Pour visionner l’interview d’Irie Gethème, cliquez-ici
« Dans ce projet ce sont les enfants qui ont été chercheurs, qui se sont mis en situation d’enquête à l’aide d’outils variés : des appareils photos, des carnets d’observation, des enregistreurs sonores. Ils sont allés en quête des espaces du quartier, mais aussi de ses habitants. L’idée c’était qu’ils puissent porter leur regard sur le quartier »

Marie-Anaïs Le Breton (participante à l’école d’automne RÉiunis).
Attachée temporaire d’enseignement et de recherche, laboratoire “espaces et société” de l’Université Rennes 2.
Pour visionner l’interview Marie Anaïs Le Breton, cliquez-ici !
Ouverture : Renforcer la communauté
L’un des objectifs de cette école d’automne était de proposer un espace inter-institutionnel d’échange et de rencontre pour des jeunes chercheur·es. Nous avions fait l’hypothèse que ces espaces sont aussi nécessaires que rares. Non seulement cette hypothèse est validée par l’expérience collective mais elle confirme la place, encore périphérique, de la RP dans nos universités. La RP n’a que marginalement pénétré les cursus de formation initiale, les séminaires ou espace d’échanges locaux sont rares si bien que les chercheur·es engagé·es dans la RP peuvent éprouver un sentiment d’isolement. L’École a rempli ici un vide en proposant l’expérience d’une communauté de pratiques et de valeurs, certes émergente mais d’ores et déjà accueillante.
Prendre conscience par les pairs que, non seulement je ne suis pas seul·e à pratiquer la RP et à m’interroger sur mes pratiques et ma posture mais, en plus, que d’autres comme moi souhaitent s’associer pour faire progresser la RP à bénéficier à toutes et tous. Ce sentiment d’appartenance à une communauté de pratiques porte de nombreuses vertus ; entre autres, il rassure et procure un sentiment de légitimité, il encourage et donne envie de poursuivre.
Ce point nous amène à aborder les souhaits exprimés pour renforcer la communauté:
- Consolider le cadre et les moyens en attribuant notamment des ressources à la coordination du réseau – notamment : des personnes référentes du réseau / personnes ressources à l’échelle locale.
- Développer l’activité du réseau au long cours (rendez-vous locaux, séminaires, webinaires, groupes de travail).
- Visibiliser et valoriser en continu les activités du réseau, auprès de ses membres et plus largement.
- Mettre en place des outils de partage d’informations et de ressources :
- Mailing list pour partager une veille interuniversitaire sur les appels à projets, les appels à contributions, emplois, bourses, activités locales (formations, ateliers, etc.), évènements de restitution de RP, etc. ;
- Répertoire ouvert de type « vivier de compétences » ;
- Espace de partage de documentation (outils, fiches, guides méthodologiques, ressources bibliographiques, retours d’expériences, etc.) ;
- Espace de dialogue et d’échanges de services
Plusieurs de ces points font l’objet de discussions depuis la tenue de l’école d’automne. L’accent est mis sur les outils communautaires en ligne favorisant le partage d’informations. Des propositions seront faites par le GT outils numériques au printemps 2024. Un comité sera prochainement créé en vue de l’organisation du prochain événement du Réseau en 2025. Une série de webinaires va se mettre en place d’ici l’été 2024.
La grande diversité des contextes représentés a montré l’importance de témoignages et retours d’expériences réalisées dans des conditions différentes. Si les vertus du partage d’expérience ne sont plus à démontrer, l’École d’automne du RÉIUNIS a tout de même permis de les réaffirmer, d’en faire l’expérience précisément, mais aussi de formuler, clairement et à plusieurs voix, le besoin de multiplier ces espaces de rencontre. Ainsi une communauté de pratiques favorisant le partage d’expérience en RP est née à Strasbourg et nous lui souhaitons longue vie !
Contributeurs et contributrices
Participants et participantes
à l’École d’Automne RÉiunis 2023
AHISSAN Brice Parfait, UNIVERSITÉ RENNES 2 – Pôle de Recherche Francophonies, Interculturel, Communication, Sociolinguistique.
ANDRÉ Marielle, UNIVERSITÉ RENNES 2 – Laboratoire de Psychologie, Cognition, Comportement, Communication, Living Lab Vieillissement et Vulnérabilités.
BUDIN Pascale, Ateliers du Croisement des savoirs et des pratiques, ATD Quart Monde
DOS SANTOS Marie, Laboratoire Sciences économiques et sociales de la santé & traitement de l’information médicale (SESSTIM), Université d’Aix-Marseille (AMU)
CANOVA Nina, CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE VAUDOIS (CHUV) – Institut universitaire de formation et de recherche en soins
CHAGAS PARABOA Clara, UNIVERSITÉ LUMIÈRE LYON 2 (ULL2) – chargée de cours méthodes d’enquête en sciences sociales
CHOLLET Manon, UNIVERSITÉ DE LAUSANNE (UNIL) – Institut des sciences sociales.
CROSSE Maëlle, UNIVERSITÉ RENNES 2 (UR2) – Centre de Recherches sur l’Éducation, les Apprentissages et la Didactique (CREAD).
DAÏCA Anne-Laure, UNIVERSITÉ DE LA RÉUNION – Laboratoire de recherche sur les espaces créoles et francophones.
DELOFFRE Juliane, UNIVERSITÉ LUMIÈRE LYON 2 (ULL2) – Triangle : Action, discours, pensée politique et économique
DUBOIS Christophe, UNIVERSITÉ DU QUÉBEC À MONTRÉAL (UQAM) – Paroles d’excluEs.
EL IDRISSI Sarra, UNIVERSITÉ DE HAUTE ALSACE (UHA) – Chaire ESS, Laboratoire Sociétés, Acteurs, Gouvernement en Europe
EL JID Omar, UNIVERSITÉ DE HAUTE ALSACE (UHA) – Laboratoire Sociétés, Acteurs, Gouvernement en Europe (SAGE)
FIORINI Cyril, Chargé de projets et de plaidoyer, Association Sciences Citoyennes
GAYE Ndeye Aïssatou, doctorante en sociologie -UNIVERSITÉ GASTON BERGER (UGB)
GIGNAC Chanel, Observatoire des profilages – UNIVERSITÉ DU QUÉBEC À MONTRÉAL (UQAM)
GRECH Delphine, UNIVERSITÉ RENNES 2 (UR2) – Centre de Recherches sur l’Éducation, les Apprentissages et la Didactique
HANGARTNER Evelyne, UNIVERSITÉ DE LAUSANNE (UNIL) – Centre universitaire de médecine générale et santé publique
IRIÉ Bi Vagbé Gethème, UNIVERSITÉ DE SAN-PEDRO (Côte d’Ivoire) – docteur en sociologie
JUAREZ Vanessa, UNIVERSITÉ DE LAUSANNE (UNIL) – Laboratoire de psychologie sociale
LE BRETON Marie-Anaïs, UNIVERSITÉ RENNES 2 (UR2) – Laboratoire Espaces et Sociétés
LUCK Charline, SCIENCES PO Grenoble – Masterante Transitions Écologiques
MADOUAS Maxime – Doctorant, Archives Henri Poincaré / Ingénieur d’étude, INRAE Colmar
MBALLA Lolita, UNIVERSITÉ DE LAUSANNE (UNIL) – Institut des sciences sociales / Laboratoire LACCUS & CEG – Assistants SSP
MOMINE Roland-Sylvain, UNIVERSITÉ LUMIÈRE LYON 2 (ULL2) – Centre Max Weber
MORENCY Sophie-Anne, UNIVERSITÉ DU QUÉBEC À MONTRÉAL (UQAM) – Service aux collectivités, Observatoire de l’humour/Réseau québécois en études féministes
NIANG Rokhaya, UNIVERSITÉ GASTON BERGER (UGB) – Alliance de Recherche- Action Université- Territoires
ODDONE Cristina, UNIVERSITÉ DE STRASBOURG (UNISTRA) – Laboratoire interdisciplinaire en études culturelles
PINOT Maxime, UNIVERSITÉ LUMIÈRE LYON 2 (ULL2) – Master Intervention et Développement social/ Analyse et conception de l’intervention sociale
PRINCE-GUÉRARD Gabrielle, UNIVERSITÉ DU QUÉBEC À MONTRÉAL (UQAM) – Observatoire des profilages
PRONOVOST Véronique, UNIVERSITÉ DU QUÉBEC À MONTRÉAL (UQAM) – Réseau québécois en études féministes
SCHULZ Niklas, UNIVERSITÉ DE LORRAINE – Laboratoire LOTERR, Centre de Recherche en Géographie
SESÉ Antton, UNIVERSITÉ DE STRASBOURG (UNISTRA) – Laboratoire de Psychologie des Cognitions
TAPIN Emma, UNIVERSITÉ DE STRASBOURG (UNISTRA), Master sciences-société
VALDIVIA Lucia, UNIVERSITÉ LUMIÈRE LYON 2 (ULL2) – Centre Max Weber, Équipe Dispositions, pouvoirs, cultures, socialisations
ZAIMEN Fouad, UNIVERSITÉ D’ORAN 2 – Laboratoire espace géographique et aménagement du territoire
Délégations des Universités fondatrices du réseau RÉiunis
Université Gaston Berger de Saint Louis (Sénégal)
NDIAYE Sambou, coordinateur de l’Alliance de Recherche- action Université-Territoires (ARUT)
Université de Lausanne (Suisse)
AUDÉTAT Marc, responsable de recherche – ColLaboratoire, Unité de recherche-action, collaborative et participative)
CAMUS Alexandre, responsable de recherche – ColLaboratoire, Unité de recherche-action, collaborative et participative)
DELLA BIANCA Laetitia, responsable de recherche – ColLaboratoire, Unité de recherche-action, collaborative et participative)
SABOT Cléolia, coordinatrice d’Interface, Fonds de soutien à la recherche partenariale
Université Lumière Lyon 2 (France)
BONACCORSI Julia, vice-présidente Sciences et société
CHAUVEAU Hélène, cheffe de projet Boutique des Sciences
MONTAGNAT Morgane, chargée de projet Boutique des Sciences
URGELLI Benoît, équipe de recherches Education, Cultures, Politiques
Université du Québec à Montréal (Canada)
AGBOBLI Christian, vice-recteur à la recherche, à la création et à la diffusion
MENSAH NengehMaria, professeure à l’École de travail social
PELLETIER Mélanie, agente de développement au Service aux collectivités
Université Rennes 2 (France)
BONNY Yves, coordinateur scientifique de la mission « Univer.cité »
FEILDEL Benoît, vice-président sciences et société, partenariats
QUERRO Cécilia, chargée de projet et d’intermédiation, plateforme de Recherches Participatives Tissage
Université Strasbourg (France)
BLOIN Jessica, rapportrice de l’École d’automne RÉiunis, masterante en sociologie du genre
CHAVANON Clara, chargée de projet Labo citoyen
DUFRENNOY Émeline, responsable de projet OPUS
FAURY Mélodie, chargée de mission Sciences-société
SCHNEIDER Mathieu, vice-président Culture, science-société et actions solidaires
Cliquez ici pour télécharger la synthèse en PDF.